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Roland dans tous ses états
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Roland dans tous ses états
24 novembre 2017

La Grèce et nous, par Henry Miller

Dans l'extrait suivant, pourtant publié en 1941,  il me semble que l'auteur énonce plusieurs propos qui concernent également notre monde actuel, non?

Qu'en pensez-vous?

 

"L'impression la plus forte, à elle seule, que la Grèce m'ait laissé, c'est celle d'un monde à la taille de L'homme. On me dira, il est vrai, que la France donne aussi cette impression ; et pourtant il y a une une différence, une profonde différence. La Grèce est la patrie des dieux ; ils ont beau être morts, peut-être, leur présence s'y fait toujours sentir. Les dieux étaient de proportions humaines : c'est de l'esprit de l'homme qu'ils sortirent. En France, comme d'ailleurs en Occident, ce lien entre l'humain et le divin est rompu. Le scepticisme et la paralysie qu'a provoqués ce schisme au sein de la nature même de l'homme, fournissent la clé de l'inévitable destruction de notre civilisation actuelle. Du moment que l'homme ne cesse de croire qu'un jour viendra où il se changera en Dieu, on peut être certain qu'il est mûr pour se changer en asticot. On a beaucoup parlé d'un nouvel ordre, destiné à voir le jour sur notre continent américain. On ne devrait pourtant pas perdre de vue que le prophète ne voit même pas l'aube de cette ère avant un bon millier d'années. Le mode de vie qu'observe aujourd'hui l'Amérique est condamné aussi sûrement que celui auquel se conforme l'Europe. Aucune nation sur terre n'a la moindre chance de donner naissance à un nouvel ordre de vie, temps que la vision ne s'élargira pas au monde entier. De cruelles erreurs nous ont enseigné que tous les peuples de la Terre sont vraiment liés les un aux autres de façon vitale, mais nous n'avons tiré aucun parti intelligent de cette certitude acquise. Nous avons vu deux guerres mondiales ; nous en verrons sans doute une troisième, une quatrième, peut-être davantage. Il n'y aura pas d'espoir de paix tant que l'ordre ancien n'aura pas volé en morceaux. Il faut que le monde redevienne petit, comme le monde grec autrefois. Assez petit pour inclure chacun de nous. Tant que les hommes, jusqu'au dernier, ni seront pas inclus, il n'y aura pas de véritables société humaine. Mon intelligence me dit qu'une telle condition de vie mettra longtemps à venir, mais elle me dit aussi que c'est le seul moyen de jamais satisfaire l'homme. Tant qu'il ne sera pas devenu pleinement humain, tant qu'il n'aura pas appris à se conduire en partie intégrante de cette terre, l'homme continuera à créer des dieux qui le détruiront. La tragédie de la Grèce, il faut la chercher, non pas dans la destruction d'une culture grandiose, mais dans l'avortement une vision grandiose. Nous disons à tort que les Grecs ont humanisé les dieux. C'est exactement le contraire : ce sont les dieux qui ont humanisé les Grecs. Il y a eu un moment où l'on a pu croire que l'on avait saisi le sens réel de la vie ; un moment éperdu où la destinée de toutes les espèces humaines s'est trouvée en péril. Ce bref moment s 'est évaporé dans le flamboiement de puissance où s'abîmèrent les Grecs, grisés. D'une réalité trop vaste pour leur compréhension humaine, ils firent une mythologie. Nous oublions, dans l'enchantement où nous plonge le mythe, que ce dernier est né de la réalité et ne diffère fondamentalement d'aucune autre forme de création, sauf en ce qu'il touche au vif même de la vie. Nous aussi, nous créons des mythes bien que nous ne nous en rendions peut-être pas compte. Mais dans nos mythes, il n'y a pas de place pour les dieux. Nous construisons un monde abstrait, déshumanisé, avec les cendres d'un matérialisme illusoire. Nous tenons à nous administrer la preuve que l'univers est vide, tâche qui justifie le vide de notre propre logique. Nous voulons à tout prix être des conquérants, et conquérants nous serons ; mais notre conquête, c'est la mort."

 

Henry Miller, Le colosse de Maroussi, édition le Livre de Poche, 1958, pp. 311-312

 

 

Henry Miller, Paris 

 

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