Les Désarçonnés (suite)
Chapitre LXXIII
Il n'est pas en notre pouvoir de mettre fin aux guerres qui sont les fêtes sociales par excellence. Nous pouvons seulement rejoindre le front antityrannique des morts qui réclament en nous.
Des sacrifiés, plutôt que des martyrs.
Des victimes plutôt que des héros.
Des apolis, des esseulés plutôt que des meutes et des armées en rang (c'est-à-dire en ordre de bataille).
*
En pleine Fronde, en 1652, les solitaires formèrent une compagnie pour se protéger des bandes en quête de pillages et de coups de feu.
La Petitière, Arnauld, Pontis, La Rivière, Beaumont, Berri, l'épée au côté, le mousquet à l'épaule, installèrent des postes de garde dans les avoines et les orties où ils assurèrent des tours de guet.
Ils avaient l'impression de défendre le silence, la solitude, la femme retranchée, la prière, l'inaccessibilité, les anciens idéaux de la République romaine.
*
Otium et libertas, telles étaient leurs valeurs.
Voilà pour moi le rêve : une compagnie de solitaires.
la seule chose, à quoi je confie mes heures, qui est certaine, c'est que la lecture, dans le monde, la réalise, chaque fois qu'un livre s'entrouvre.
Les Désarçonnés, Pascal Quignard, Ch. LXXIII, Grasset