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Roland dans tous ses états
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Roland dans tous ses états
17 juin 2016

Les Irremplaçables, de Cynthia Fleury

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Lorsque j'ai voulu commencer à lire ce livre m'avait été offert, j'ai cru à une blague : un épais mur de mots abstraits en constituait une barrière dès la première page. Jamais je ne pourrais lire une telle "chose". Ne se moquait-on pas de moi, ou était-ce une erreur d'attribution de cadeau?

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Et voici que, page après page, j'en ai fait la lecture intégrale. Non que j'aie voulu faire un pari, un "challenge", comme disent les jeunes sportifs (pardonnez-moi ce pléonasme), mais la mise en cause des formes d'aliénation de la démocratie que développe l'essai m'a intéressé.

De fait, je ne tenterai pas de proposer une analyse ni même un résumé de l'ouvrage - d'autres l'ont fait, et sans doute mieux que je ne pourrais espérer le réaliser - mais j'en ai sélectionné un extrait qui m'a paru représentatif, car au coeur du propos de l'auteur(e, si vous voulez) :

 

Le ruban de Moebius

 

Les affres de l’individualisme sont bien connues. Sans doute, avons-nous oublié qu’il n'est pas assimilable à l'individuation, mais qu’il n’en est que la version abâtardie. Sans doute, avons-nous également oublié la part majeure que cette individuation apporte la préservation de l'État de droit. Il est désormais nécessaire de rappeler le ruban de Moebius qui existe entre la démocratie et l’individuation.

Sans la seconde, il n'y a pas d'État de droit mais simplement son simulacre et la tentation toujours plus affermie de mettre en place un système populiste ou plus autoritaire encore. Si plurivoque que soit le terme de populiste tant il recouvre une variété de situations, il contient néanmoins quelques invariants : le populisme est une critique des élites, la revendication de détenir le vrai sens du peuple.

Le populisme saurait lui ce qu'est le peuple, les vrais gens, les petites gens, l'homme commun, le lésé depuis toujours, l’individu dans son plus simple appareil. Le populisme croit en son discours infaillible sur le peuple. En ce sens, il contredit la vocation faillible de la démocratie, au sens d'État de droit. Dès lors, la critique des élites n'est que l’avant-poste de la critique des intellectuels, voire du logos lui-même, tant la culture ne peut être selon lui que dominante et l'adjudant du pouvoir.

De fait, s’il est difficile à déconstruire, c'est parce qu'il s'appuie sur des vraies craintes de tout bon démocrate, quant à la servitude et à l'injustice qu'il subit parfois. Mais les régimes populistes sont tout aussi inféodés au pouvoir que leurs aînés. L’individu, dans sa pleine individuation, avec la dimension transgressive que cela suppose, n'est pas visé. Mais de fait, en s’y refusant, il met en place un processus normalisé d'individuation, tout aussi restreint que celui proposé par le pouvoir. L'individuation demeure pour le populisme un concept bien trop abstrait.

Or, la démocratie pour préserver sa qualité a besoin de l'engagement qualitatif de l’individu. Elle est le fruit des singularités préservées. Un processus d'individualisation mis à mal et c'est là un sûr test d'affaiblissement de l'État de droit dans la mesure où ce dernier est par essence le maintien des conditions de possibilité de l'individuation. Ainsi préserver l’individuation – et non l’individualisme - c’est nécessairement préserver  l’Etat de droit et lui offrir les moyens de lutter contre sa propre entropie.

Car il est de fait que l’individualisme résulte également de la démocratie. Seulement, à la différence de l’individuation, il enclenche sa décadence  et fait naître à l'intérieur de la démocratie des forces antidémocratiques, d'autant plus difficiles à déjouer qu'elles sont parées de la légitimité démocratique.

Or, si toute démocratie est populiste, tout populisme n'est pas démocratique. Le populisme prospère sur les ruines de l'individuation sauf qu'il ne s'agit nullement d'entreprendre la restauration de l'État de droit et des modes d'individuation. Il s'agit d'en appeler à un pouvoir autoritaire qui ne dit pas son nom, a des formes de normalisation tout aussi aliénantes.

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