Les pierres sauvages, roman de Fernand Pouillon

4 juillet 2015

Les pierres sauvages, roman de Fernand Pouillon

Si vous avez visité comme moi l'Abbaye du Thoronet, dans le Var, peut-être n'en êtes-vous pas sorti tel que vous étiez avant d'y entrer. Un lieu exceptionnel.

Le roman raconte la conception et la mise en chantier de l'abbaye par le moine constructeur de celle-ci, au moment où, proche de la mort, il quitte les lieux pour terminer sa vie à Citeaux.

L'histoire se passe donc au Moyen Age, au XII e siècle, et nous donne à imaginer les techniques disponibles à l'époque, les vissicitudes du chantier et le ressenti des personnages principaux, moines, converts ou laïcs.

Cela raconté à la première personne par le biais du journal de bord du moine bâtisseur

L'auteur, Fernand Pouillon, né en 1912, lui même architecte, a construit de nombreux bâtiments publics et équipements en France, en Algérie et en Iran ; Il a exercé jusqu'à sa mort en 1986. Le roman, paru en 1964, a reçu le prix des Deux Magots en 1965.

Le moine constructeur parle de la structure particulière des pierres disponibles pour édifier l'abbaye :

« La plupart des pierres seront traitées rudement, grossièrement : nous gagnerons du temps. Le soleil accrochera les facettes, les éclats, et fera précieuse la matière scintillante. Les anges, les joints dressés, ciselés, deviendront les pures arêtes, définiront le filet de la maille élémentaire, par la discrète diversité des fins appareillages que nul mortier apparent n'insensibilisera (…) Voilà pourquoi je ne veux pas la bâtir, l'engluer de chaux; je veux lui laisser un peu de liberté, sinon elle ne vivrait pas"

A la fin du récit, le moine bâtisseur s'apprête à quitter le chantier du Thoronet. Se pose alors la question de sa succession pour mener le chantier à son terme :

« Mais, mon frère, tes dessins sont là. Nous les respecterons. J’ai suivi, observé, écouté. Je serai, je vous dit, ton successeur. Lorsque Bernard et Benoît ordonneront, je serai reconnaître si c’est eux ou toi qu'ils expriment. S'il est un jour question d'une chose nouvelle je sentirai quand ils prolongeront ou s’éloigneront de ta pensée. Là n'est donc pas le problème et pour en finir avec ta crainte … es-tu bien sûr que tu me tremblais pas pour un oubli, des essentielles recommandations, ou pour des choses plus graves encore?

– Rien de précis, prieur.

– Reconnais à présent que tout cela était difficile à admettre.

– Cisterciens, vous m'excédez ! coupa le Templier, je ne veux pas me mêler de vos affaires, mais vous raisonnez toujours avec un pied sur les marches du Ciel. Toi, prieur, tu considères que tout étant bien fait, terminé, ton frère n'a plus qu'à se retirer en prière et connaître les joies du métier de moine pour préparer son éternité. Lui, tout d'abord très ému, se réfugie dans des élucubrations triangulaires, pentagonales, les prend pour prétexte à son désarroi. Il est au bord des larmes, le pied sur la marche, la béquille sur la terre. Il se présente en bon serviteur de l'ordre, scrupuleux, il développe des soucis parallèles. Grands dieux ! Considérons plutôt cette cabane. Nous ne sommes pas chez un moine, ici, mais chez un homme qui dessine, organise, dirige, depuis plus de vingt cinq années. Regardez ! fous que vous êtes, même le crucifix disparaît sous les dessins. Nous, militaires les trois quarts du temps, restons des hommes. Ce n'est pas de la supériorité, bien sûr ; Cela nous aide à connaître les faiblesses, a croire à la fatale nécessité ; Elles sont, ma foi, utiles à déceler. Avant de se reprendre il a parlé de la peur ; s'il veut te l'avouer, prieur, je crois qu'il la connaît, sa peur : son explication est ici, dans ce lieu de travail qui résume une vie! »

p. 222 - 223