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Roland dans tous ses états
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Roland dans tous ses états
11 avril 2017

Grécité III

 

Yiannis_Ritsos_in_1984

 

Dans ce pays, le ciel ne diminue jamais un seul instant la flamme de nos yeux.

Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids 

De pierre que nous avons toujours sur nos épaules 

Et les tuiles se brisent net sous le coup de genou de midi 

Les hommes glissent devant leurs ombres comme les dauphins devant les caïques de Skiathos 

Et leur ombre devient un aigle teignant ses ailes dans les flux du couchant 

Pour se percher ensuite sur leurs têtes en songeant aux étoiles 

Quand ils se couchent sur la terrasse aux raisins secs et noirs.

 

Dans ce pays, chaque porte possède un nom gravé dans le bois depuis trois mille ans

Chaque pierre possède un saint dessiné avec des yeux farouches et des cheveux hirsutes

Chaque comme possède d'une sirène rouge tatouée sur son bras gauche

Chaque fille possède sous sa jupe un buisson de lumière saumâtre

Et le cœur de nos enfants est marqué de petites croix

Comme les empreintes des mouettes, au crépuscule, sur le sable.

 

 

Inutile de le rappeler. Nous le savons.

Tous les sentiers mènent aux Aires Hautes.

Le vent pique là-haut.

 

 

Lorsque s'estompe au loin la fresque minoenne du couchant

Que l'incendie s'éteint sur la grange du rivage

Les vieilles montent jusqu'ici par les marches taillées dans le roc

Elles s'asseyent sur la grande pierre et leur regard brode la mer

Elles s'asseyent et dénombrent les astres

Comme on dénombre des fourchettes et des couteaux d'argent

Et lentement, elles redescendent gaver leurs petits-enfants de poudre de Missolonghi.

 

 

Oui, c'est vrai, l’Enchaîné a ses deux mains de deuil prises au collet 

Mais son sourcil frémit comme un roc prêt à rouler hors de son oeil amer.

De loin monte ce flot qui méconnaît toute prière

De au souffle ce vent aux veines de résine

et aux poumons de sauge.

 

Yannis Ritsos,

Grécité, III

Ed. Bruno Doucey

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