Montage du Dehors et du Dedans, à partir des poèmes de Nicolas Bouvier
Ecrits entre 1953 et 1997, les poèmes du poète-voyageur Nicolas Bouvier présentent plusieurs tonalités. Il est toutefois à noter que la mort est présente dès les poèmes les plus anciens du recueil, et pas seulement dans ceux écrits à l'approche de celle-ci, de la disparition annoncée par la maladie.
C'est par le biais de ce filtre que j'ai abouté les passages qui suivent, et qui - du moins à mes yeux - constituent un ensemble cohérent, bien que je n'aie pas modifié l'ordre dans lequel ils figurent dans le recueil.
Ce midi-là
la vie était si égarante et bonne
que tu lui as dit ou plutôt murmuré
« va-t-en me perdre où tu voudras »
Les vagues ont répondu « tu n’en reviendras pas »
…
ce jour-là quelqu’un t’attendra au bord du chemin
pour te dire que c’était bien ainsi
que tu devais terminer ta vie
démuni
tout à fait démuni
…
à qui l’eau noire de ce visage
où je me vois mourir
…
le chagrin couve au chaud
sous les feuilles tombées
mais ce qui saigne sous la neige
n’en est pas moins sanglant
…
car nous ne savions pas
que nous étions déjà tombés dans la vie
tombés dans cette vie
si douce et si tuante
que personne jamais
n’en reviendra vivant
…
mais si vous revenez
voleurs de confitures
revenez s’il vous plaît
pieds nus les yeux baissés
Le gel aura fermé son poing dans la nature
Entre vos voix et moi l’hiver s’est installé
Moi je n’y serai plus et vous serez volés
…
et souviens-toi que l’ombre est plus légère
que celui qui la porte
…
mais je suis seul à marcher derrière moi
maigre cortège
…
et pour mes oreilles aujourd’hui
même le mot solitude
sonne comme une rumeur nombreuse
…
Je suis dans un temps
où les choses ont cessé d’être
proches
intelligibles
compatissantes
…
où nous pourrions bien quitter sans crier gare
ce logis piteux et mal aimé du corps
le laissant seul à négocier nos redditions
face à l’inexorable gravité de l’existence.
Pour en savoir plus :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Bouvier