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Roland dans tous ses états
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Roland dans tous ses états
5 février 2015

Standard, roman de Nina Bouraoui

Nina Bouraoui, née en 1967, a publié plusieurs romans dont certains ont obtenu la faveur des jurys, notamment : la Voyeuse interdite (prix du livre Inter 1991), La Vie heureuse, Mes mauvaises pensées (prix Renaudot 2005).

Dans Nos baisers sont des adieux (2010) elle pratique une écriture fragmentaire tournant autour de la relation amoureuse de la narratrice avec une femme, chacune représentée à une époque de sa vie.

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Avec Standard, l'auteure écrit un livre de près de 300 pages en quinze chapitres.

L'intrigue se concentre sur le personnage principal, qu'un texte liminaire présente de la sorte :

 

Bruno Kerjen avait la certitude que rien d'important ne le précédait et que rien d'important de lui succéderait. Que sa vie ne tenait pas entre deux segments, avec un début et une fin, comme la vie de chacun d'entre nous, mais qu'elle ressemblait à un cercle : le passé embrassait l'avenir. Il venait d'avoir trente-cinq ans et nourrissait le pressentiment d'une catastrophe sans en connaître la date ni l'organisation. Il n'avait jamais eu accès au monde tel qu'il l'avait rêvé enfant. Le monde réel était fait d'hommes et de femmes à son image, qui pouvaient être remplacés sans que personne ne remarque la différence de l'un, l'absence de l'autre. Pour cette raison, il ne votait pas. Il n'était ni de droite ni de gauche. Aucun parti extrême ne l'attirait, assurer que les hommes politiques ne considéraient pas les gens comme lui, individu quasi invisible,infime partie d'un Tout que certains nommaient la masse en raison de son volume. Ils étaient nombreux et leur nombre voué à augmenter.

Avec une lecture selon les pôles de l'Ennéagramme

 

http://www.enneagramme.com/Theorie/9_desc.htm  Kerjen peut être vu comme un archétype du type 5 : il s'est bâti un château-fort intérieur dans lequel il survit, de peur de se frotter aux souffrance infligées par une vie réelle : petit boulot sans responsabilités, absence de vie sentimentale, sexualité par téléphone rose, peu d'amis, mère tenue à distance.

En tant que Cinq il est sensible à son espace vital, à son jardin secret : son logement, placard dans lequel nul n'est admis à pénétrer, pas plus  son unique ami que sa mère. Il s’efforce de garder une distance émotionnelle avec les autres, notamment cette jolie fille qu'il avait approchée il y a bien longtemps, dans sa jeunesse, à Saint-Malo, Marlène, avant que celle-ci ne disparaisse brusquement un jour . Ils préfère observer plutôt que participer. Les émotions et les besoins des autres lui paraissent incongrus. Il compartimente les relations, vivant à Paris et retournant à St-Malo de temps à autre pour un week-end. Il est détaché des gens, des sentiments et des objets.

Jusqu'à ce que ...

                     ... Marlène réapparaisse dans le port de sa jeunesse. Et c'est parce qu'il va se décider à l'aimer qu'il va chuter.

 

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Extrait :

I

Depuis disant,Bruno Kerjen assemblait de petits filaments de cuivre autour de petites puces elles-mêmes soudées à une plaque qui serait reliée ensuite un transformateur, intégré au ventre d'une télévision, d'un ordinateur ou un boîtier de téléphone. Ces petits gestes pour de petites choses lui donnaient la sensation de participer à un projet collectif sans avoir à subir la contrainte des autres : celui de relier les êtres, unique plaisir d'une occupation automatique qui relevait plus de la pratique que de la science.

Bruno Kerjen travaillait pour Supelec, l'une des dernières entreprises françaises actives sur le marché des composants électroniques. Il n'aimait ni ne détestait son métier, l'accomplissant davantage par devoir que par passion, soucieux du travail bien fait.

Il se comparait un poisson qui remonte le courant avec les autres poissons, suivant le flux qu'il entraînait vers une eau noire et fermée. Le courant était peut-être le plus mauvais des courants mais il préférait s'y inclure plutôt que de s'en extraire, refusant de se démarquer : mieux valait l'accepter et y puiser le plus de tranquillité possible et ne pas mettre en péril ses habitudes qui le rassuraient. Un petit point parmi les autres valait mieux qu'un petit point perdu dans l'espace et, même si sa solitude demeurait, il entretenait l'illusion de la partager avec des êtres comme lui, ni bons ni mauvais, ni doués ni idiots, moulés dans un format banal que proposait une existence banale : se lever pour se nourrir.

 

Flammarion éditeur, 2014

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