Le voyageur intermittent, de Jean-Luc Bruyas

17 janvier 2015

Pour qui pratique les deux vices que sont le voyage et la littérature le livre de Jean-Luc BRUYAS, Le Voyageur intermittent, est un double plaisir (chose exquise pour qui veut jouir de ses vices) : plaisir de retrouver le vécu d'une certaine forme de voyage à travers le Monde - il s'agit ici de voyage et non de tourisme, car j'y vois une différence notable : le voyageur se met à l'écoute des contrées où il séjourne (le touriste parcourt tel et tel pays, sans être attentif à écouter, voir la vie qui s'y déroule dans la banalité du quotidien, qui pour le voyageur en fait sinon l'attrait principal du moins un intérêt non négligeable. (Reconnaissons toutefois que le voyageur est parfois contraint d'observer longuement, à cause des vicissitudes des transports qu'il effectue au rythme des moyens du pays et non avec des moyens modernes similaires à ceux des pays occidentaux).

Pour le voyageur, un séjour est une rencontre.

Notre voyageur écrivain décrit et raconte ses rencontres avec finesse et délicatesse et nous replonge dans les nôtres, comme le fit, paraît-il, une certaine madeleine.

Apparemment il semblerait - à moins que jean-Luc Bruyas ne fût mon double ignoré (de moi et de lui aussi, sans doute) - que certains voyageurs éprouvent de mêmes sensations ou émotions dans de mêmes lieux et circonstances, pour peu que ce soient des lieux extra-ordinaires, des lieux qui affutent nos perceptions du fait qu'ils nous sortent du connu dans lequel nous baignons quotidiennement.

J'évoquais un double plaisir ; le second est celui de la littérature, car notre intermittent migrateur a aussi une plume ; il manie la langue française d'une telle sorte que le lire est non seulement voyager quelque peu avec lui, mais aussi goûter au plaisir de la lecture.

Que voudrait-on de plus!

Extraits :

Rajasthan.

Nous volons vers l'Inde pour la seconde fois. Elle s'empare toujours de ses visiteurs. Elle fait mine de t'être familière au point que tu reconnaîtrais les visages croisés dans la rue, et à la faveur d'un cerf-volant lumineux, des volutes dansées par un faiseur de chapatis, d'un déferlement de saree qui déchirent la frontière entre l'harmonie et l'outrance, Elle te signifie qu'Elle est les maîtresse de tes visions et qu'elle t'étonnera encore.

[...]

Désert du Thar.

"Cigarettes, matches, bedees!" crie sans cesse le petit vendeur.

"Bakchich cobra, bakchich cobra!". À la faveur d'un arrêt il est entré avec son cobra autour du cou. Il est venu directement vers moi. Une main tendue, l'autre au col du reptile. J'ai déboursé une roupie sans broncher.

[...]

Le même saint reproduit des milliers de fois et lustré par la main du prêtre Jaïn. Il est muselé afin d'éviter de détruire les plus petites formes de vie en les aspirant.

Trouver un ballant en écriture.

Je reviens à Proust et à la consistance du temps. C'est là que pour la première fois que j'ai lâché mes phrases.

Réel ou surréel ?

Je mange une soupe sur le bord du lac du Palais d'été dans un petit établissement propret. Je regarde par la fenêtre ce paysage artificiel encadré par les collines mongoles. Je suis inclus dans ce paysage, je m'y vois et mon esprit voyage vers la France. Je suis sur ma terrasse. Je revois ce bol de soupe où repose une paire de baguettes. Mon paquet de cigarettes chinoises. J'ai du mal à croire à ma présence réelle en ce lieu, en ce moment. Mon imaginaire s'enfuit du réel.

Le voyage met un terme aux clichés.

Le voyageur emprunte des chemins prémédités pour découvrir par hasard des merveilles. Elles sont sa récompense. Il vit des interludes tout à fait propices aux scènes surréalistes. Il s'en délecte. La Chine comme l'Inde en sont riches.

Les livres de Jean-Luc Bruyas sont publiés aux éditions Gros Textes

Il a publié notamment