Etincelles de Christian Bobin 23

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Très tôt j’ai su ce que je ne voulais pas. Cela correspondait à l’ensemble de ce qui m’était proposé comme avenir. Un mariage, un travail. Des objets, des horaires.

[…] Quand, par des détails minuscules et de plus en plus nombreux, m’a été signifiée la sortie de l’enfance, j’ai commencé à simuler – seule manière de survivre en société. Dans les années où j’e faisais semblant d’étudier […] que m’est-il resté de ces lectures ? […] Dans la rue où j’ai grandi, sur un trottoir près de la maison d’enfance, quelques fissures. Elles s’y trouvent encore aujourd’hui. J’ai passé des heures à rêver leurs formes, à y lancer des billes. J’ai pour ces lézardes plus d’amour que pour la plupart des grands auteurs. […] Ce que la pluie, la neige et le soleil font à un trottoir, en le fissurant et en laissant passer une petite herbe à travers les fissures, c’est ce que j’aime faire avec du papier blanc. Et pour le reste, indifférence, abstention. Pour le reste je fais comme tout le monde : semblant.

p. 135-136

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Très tôt, le penchant pour les minorités, pour les vaincus ; préférais jouer les Indiens que les cow-boys, le fuyard au poursuivant, l’aventure artistique au mariage, le rocker rebelle au père de famille – sot que j’étais, croyant incompatibles les deux !

Rejet de l’ensevelissement sous les objets de la consUmation, des horaires aliénants. Etudiant au minimum car rétif aux règles de l’école, jusqu’à simuler l’adhésion aux concours administratifs, voire plus que distant par rapport aux exigences coercitives du métier de l’enseignement, une fissure sur un trottoir, une tache sur une surface, un nuage, une forme sur un élément de la nature me font encore passer des heures à tenter d’en saisir les métamorphoses par l’image photographique. Pour le reste, semblant. De moins en moins : urgence du temps qui reste à vivre.

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