Tombeau pour Daniel R.
Cher Daniel,
"Il faut que tu m’écoutes, laissez-moi réfléchir un peu encore un peu » dit la chanson.
Cher Daniel, nous n’avons pas eu le temps de dire et tu nous as quittés subitement. Il nous reste à dire le plaisir d’avoir partagé des moments de voyage, de montagne avec toi, mais aussi des moments conviviaux. Les uns comme les autres, tu les honorais de ta présence joyeuse.
Daniel,
Combien de randonnées avons-nous partagées ? Combien de chemins ? Combien de sentiers ?
Dans notre petit groupe, petit en nombre mais pas en cœur, dans l’herbe printanière ou la neige d’hiver, tu tenais bien ta place, et, même si quelquefois tu en as quelque peu bavé, tu gardais ta bonne humeur. Je te revois, le front ceint de ton bandeau au nom d’une station de radio populaire d’une principauté voisine, suant à grosses gouttes, ne rêvant plus que du gotou. Ah ! Tu le méritais bien, celui-là !
Et puis aussi quand tu apportais tes oranges, ces fameuses oranges pour lesquelles tu t’es rompu la jambe. Parfois c’était des pamplemousses ; « Quelle idée, pensais-je, que de transporter un tel poids dans son sac ? » Mais ils nous rafraîchissaient bien, ces agrumes.
Je me souviens t’avoir quasiment achevé lors d’une rando en duo aux lacs de Vens, en hiver, mais nous avons quand même fini par pique-niquer, assis le cul dans la neige, seuls, immensément seuls et ensemble, dominant la croûte gelée des lacs.
Nous n’avions pas besoin de parler pour communier avec la nature dans ces moments forts.
Une autre fois, c’est en haut du Mounier que, las d’une rude montée, alors que nous papillonnions de ci de là afin de déterminer avec une précision quasi scientifique l’exact lieu où nous devions nous poser pour le pique-nique, nous t’avons vu t’installer cessant de nous suivre et manifester de la sorte qu’en ce qui te concernait, la salle à manger était toute trouvée.
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Puis il y eut la période Morton, cet affreux compagnon de route qui te cassa les pieds et te faisait marcher sur des œufs.
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Ca n’a pas toujours été facile pour toi, on le sentait quand tu restais longuement silencieux, marchant en queue du peloton, mais tu avais la délicatesse, - beaucoup de délicatesse, Daniel avait beaucoup de délicatesse – de nous épargner tes états d’âme, et malgré ces moments difficiles jamais tu n’as cessé d’avancer sur le chemin de la vie.
Et puis, nous pouvions par ton intermédiaire goûter aussi quelques tranches de vie niçoise, nous, lointains banlieusards, que tu nous rapportais de la métropole, au fil de nos rencontres :
« Alloura mi fà … alloura m’a dice …. Paillassou ....”
les travaux interminables du tram, les rando humanitaires sous l’égide du boucher de ton quartier, les anecdotes truculentes de la vie niçoise...
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Il y a un certain temps que tu n’avais plus pu marcher avec nous, et nous nous demandions souvent quand et comment pourrait se faire ton retour auprès de nous.
La vie en a décidé autrement ; c’est nous qui te rejoindrons, un jour, sur les chemins célestes, poussière d’étoile filant parmi les étoiles.
Il paraît que le paysage est beau aussi, là-haut …
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