randonnée nivéale dans la Roya (06)
C'est une journée nuageuse ; de nouveau je reprends la route vers l'arrière-pas niçois, ma Côte d'Azur à moi. Je n'y connais pas de personne, mais toutes les routes et tous les sentiers me sont familiers.
Aujourd'hui encore me voilà me lavant les yeux sur l'immensité de la monotonie nivéale.
Lavant mes yeux du béton, du bitume, du bruit permanent de la circulation automobile, de la promiscuité, qui pèsent de plus en plus lourd sur mes épaules.
Ici, je me sens dans mon élément, poisson dans l'eau de l'altitude. Ici je sens les choses à leur mesure, et moi-même le premier, je me sens à ma mesure ; petit élément provisoire de ce grand tout de la nature.
Incommensurable beauté du silence.
Le crissement de la neige sous le pas ...
... le son du torrent, le souffle dans les branches, c'est aussi partie du silence.
Ici, c'est le roc qui est roi, la pente qui en impose, la neige qui freine le pas. L'homme mon semblable n'est pas ici prétendu maître du monde. Humilitas. Contemplation. Recevoir plutôt que prendre, que dominer.
Les traces naufrageantes des implantations humaines m'émeuvent à chaque fois que j'en rencontre.
Pauvre humain ... Il a sué tant de peine pour bâtir, pour maîtriser quelques arpents d'une terre plus que rétive. Un siècle à peine a passé et tout son édifice retourne à la matière informe.
Que de déception si les Anciens voyaient ce qu'il en est advenu!
Il fallait sans doute vraiment crever misère pour vouloir aménager la montagne à son usage.
Il n'en subsiste que des restes sombrant pathétiquement dans la terre.
Je capture volontiers leur image, à l'usage des générations futures éventuellement. Des hommes du béton, qui n'auront peut-être jamais vu CA. Ce popurrait être la marque de mon passage dans cet univers. un tout minuscule héritage pour qui en voudrait.
Je me plais à rendre visite à ces monuments - car ce sont des oeuvres monumentales, tant il a fallu d'ingéniosité pour les ériger - et à y traquer des vestiges d'un monde révolu.
Quand on songe que l'on est à guère plus d'une heure de Nice!
Point de touristes ici ; en général, je ne rencontre personne d'autre que moi-même sur ces sentiers ; un chamois parfois ; un bouquetin, renard, quelques corvidés souvent ... traces de vie et de mort ...
Je ne suis tout de même pas seul, accompagné de pensées diverses qui m'imposent leur compagnie. Il est vrai que la randonnée est pour moi l'espace privilégié où mon esprit est disponible à penser. Chose rare dans le quotidien du béton, du bruit et dans un espace ou l'Autre interfère toujours.
Ce ne sont pas -loin s'en faut -toujours de bonnes pensées ; il n'est pas rare que l'âpreté du paysage possiblement fasse ressurgir des épisodes douloureux de ma vie affective. Il arrive qu'un incommensurable tristesse me rejoigne. Je sais l'accueillir, je l'accepte, je la laisse faire son temps.
Il m'arrive aussi de parler, à qui n'est pas là et à qui je m'adresse tout de même ;
j'ai souvent un papier et un stylo à portée ; j'ai l'impression de plus pouvoir tenter d'écrire quelque chose dans la marche.
C'est ainsi que ce jour-là, alors que le grésil commençait à tomber silencieusement sur la neige, j'écrivais le petit texte que voilà :
Ma peine est infinie à ce départ définitif.
Tu vois, j'avais appris à me contenter de peu
A ne rien demander jamais.
J'espère que ce livre
Saura faire perler des moments d'émotion
Au coin de tes yeux.
Puissé-je un jour entendre d'une voix chère
"Oui, ami fus et coeur sincère."
Qui écrivit ces mots partagea je le crois
Des tourments, des brisants, comme toi.
La peau du personnage :
un coeur trop à vif
sous
Un habit trop fin.
Un coeur trop émotif
S'émeut de joie ou de tourment ;
tel croirait sans motif.
Je fus souvent sincère
Et d'autres fois captif
De mots qui sans mesure
Mettant mon coeur à vif
S'avéraient excessifs.