Le Point sur Robert, spectacle de Fabrice Luchini
Assister à un spectacle de fabrice Luchini reste une expérience singulière. On est toujours au fil des rencontres saisi par la diversité de ses facettes, moments d'émotion à la lecture d'un texte pourtant difficile, par exemple de Paul Valéry, amusé par les commentaires qu'il y met, ou par le rôle du spectateur qu'il invente et auquel l'on finit par s'identifier et qui souvent est la part récalcitrante de celui-ci.
Paradoxalement, de même que cet artiste nous accorde une confiance indéfinie, offrrant à notre dégustation des textes, des phrases, des mots, qu'il décortique par une articulation appuyée et par le geste avec lequel il l'accompagne de la main - tel le chef de choeur dirigeant les sons et les vagues du phrasé, il nous reproche de ne pas être dignes du festin, s'interrompant pour nous dire combien nous ne sommes capables que de tousser, d'arriver en retard, de recevoir des sonneries de téléphone ou de prendre des photos (comme celles que voilà et qui m'ont valu une sévère remontrance), et - paraît-il, nous Niçois particulièrement (mais ne dit-il pas cela à tous? J'apprécierais de recevoir des informations de votre part, ô lointains coreligionnaires luchiniens à ce sujet) ... au lieu de l'écouter, Lui.
Mais il est également capable de nous conduire jusqu'au rire, dans ses imitations de vedettes populaires qu'il écharpe au passage de sa griffe, ou lorsqu'il nous narre tout en le mimant le tournage de Perceval le Galois avec Eric Rhomer ; mais alors qu'il nous amuse en jouant ce tournage greffé de ses commentaires humoristiques, il nous donne avec l'intonation la plus sérieuse qui soit le texte, le si beau texte de Chrétien de Troyes, dont il se fait l'ambassadeur.
Quoi qu'il en soit - et peutêtre grâce aux vertus de cette ambigu traitement de choc qu'il nous prodigue, ce spectacle restera l'un des moments forts de ma saison théâtrale, car Fabrice Luchini est avant tout une personnalité, et c'est en quoi il se distingue des cohortes d'ectoplasmes qui hantent nos rétines, il nous enseigne que nous pouvons éprouver la jouissance de la lecture des beaux textes, nous qui ne sommes parfois que des "pas grand choses" en littérature et en intellectualité, grâce à lui, qui -mentionne-t-il à plusieurs reprises au cours du spectacle - était coiffeur avant de devenir le grand acteur qu'il est.